mercredi 13 juin 2007

Pute

Le cadran indiquait 21 heures. Un peu tôt pour un dimanche soir. Je sors de ma chambre insalubre, miteuse, aux odeurs vagues de moisissure. Une chambre où l’humidité suinte des murs. Autrement dit, tout ce qu’il y a de plus accueillant pour une putain. Je suis en manque. Ma chambre quittée, des étourdissements me prennent. Mes genoux tremblent. Je m'adosse aux murs du corridor, essayant de reprendre mon équilibre. Je suis vraiment trop en manque. Mes veines crient leur carence. Il faut que j’aille m’en acheter. Il faut que je me fasse un client. Là, au plus vite. Pour l’argent. Pour la dope.

Je reprends mon souffle. Il faut que je sois un peu présentable, au minimum. Pour attirer quelqu’un. Sauf que, je sais pertinemment qu’un client vraiment en manque prendra toujours n’importe quoi. Pourvu que ça satisfasse ses désirs. Mais je me peigne quand même les cheveux dans le miroir de l’entrée. On a beau être pute, on est quand même coquette.

Je marche dans la rue. Je me dandine le cul. Il me faut un client au plus vite. Du cash. Et de l’héro pour mes veines. Je m’arrête à un stop. Il y a d’autres filles qui sont là. J’en connais certaines, d’autres sont des nouvelles. Je m’informe si l’un de mes contacts est dans le coin. Burn n’est pas loin. Il sera sûrement encore là, après.

Je regarde les nouvelles. Elles sont encore toute fraîches, pleine des illusions de leur pimp. On commence toujours en amour. Mais la réalité finit toujours par nous rattraper. Et l’horreur. Et le désespoir. On finit par avoir la claque des illusions en pleine gueule. Fatalité.

Je les entends parler entre elles. Ce sont des vierges. Encore aucun client. Mais justement, une auto s’arrête près de nous et embarque l’une des nouvelles. La première fois c’est toujours comme si ton monde s’écroulait. Et la claque qui vient. Pis en pleine face.

J’attends encore quelques minutes. Se dandiner le cul ne me réchauffe pas plus que ça. C’est drôle à dire mais, l’hiver j’ai toujours hâtes de me faire embarquer. Un peu de chaleur sur ma peau. À défaut d’être de la chaleur humaine, j’ai celle de la ventilation.

Le voilà, mon client. Une Honda rouge. Il est bien habillé, complet-cravate. Il doit être de ceux qui ont femme et enfants mais qui ont des fantasmes si pervers qu’il n’ose pas les avouer à leur bonniche de femme. Je ne les aime pas. Eux, ils se contentent rarement d’une pipe. Ils en veulent plus. Beaucoup plus.

J’embarque quand même, l’appel de l’héro est plus fort que tout. Il ne me parle pas Il ne me regarde pas. Je n’ose lui demander où il m’emmène. Ni ce qu’il veut.

Un motel. Aussi miteux que ma chambre. Il ne dit toujours rien.

Je le suis, sans rien dire. Je passe ma main dans mes cheveux, nerveuse. Sa démarche, son air, je ne sais pas. Il me fait peur. Je n’avais pas bien remarqué dans l’auto, mais maintenant qu’il loue la chambre, je commence à sentir ces frissons glacés me parcourant l’échine. Par expérience, je sais que mon intuition me trompe rarement. Et ces frissons m’indiquent le pire.

Puis, je ne sais pas pourquoi, malgré l’appel de l’héro dans mes veines, je ne veux plus rester. Tandis qu’il paye la chambre, je retourne sur mes pas, marchant le plus rapidement possible. Sans me retourner.

J’atteins le stationnement quand, soudain, je le sens qui m’attrape le bras d’un geste brusque. Il me le broie. Je n’ose crier, mais un soufflement rauque s’échappe de mes lèvres. J’essais de me dégager, mais il est plus fort que moi. Il m’entraîne dans la chambre.

Arrivé à la chambre, il me jette sèchement sur le lit. Angoissée, je pousse un hurlement aigu. Il part à rire et me dit de continuer, qu’il aime ça, les salopes qui crient. Tant mieux, car je ne peux plus m’arrêter. La rage s’empare de moi et je me mets à hurler, à me débattre, à mordre.

Il me roue de coups, me lance sur le mur. Je cesse de crier.

Tout tourne, je suis complètement assommée, à sa merci.

Je suis un corps flasque, je sens mon sang couler sur mon visage, le long de l’arrête de mon nez. Je ramasse le peu de force qui me reste et l’essuie. Il s’est assis sur le lit, me regarde. Une lueur perverse traverse son regard.

Je suis avachie sur le plancher. Je me redresse sur mon coude, écartant de mon visage les mèches de cheveux rendues visqueuses par le sang. Ma bouche est sèche mais je lui crache à la figure de prendre ce qu’il veut et de décâlisser.

Il se lève et s’approche de moi. Il s’agenouille à ma hauteur, me prend le menton et m’embrasse violemment avant de me foutre une baffe en pleine gueule. Je ne sens plus ma joue gauche. Je ne comprends plus. Je ne me débats plus. Qu’est-ce qu’il veut?

Il se relève et me fout un coup de pied dans le ventre. Il continue à me battre.

Lorsque je ne suis plus qu’un corps inerte, ensanglanté, il me couche sur le dos et me déshabille. Puis il enlève son pantalon. Il s’étend sur moi. Je n’ai plus la force de le repousser.

Il commence son va-et-vient brutal en moi. Je gémis faiblement de douleur, tourne la tête de côté, je ne veux plus le voir. Mais je suis pute et j’endure.

Soudainement, il m’enserre la gorge de ses mains, tout en poursuivant. Il m’étouffe, il m’étrangle.

Un sifflement sourd sort de ma gorge. J’essais, de mes dernières forces de l’en empêcher. Mais il est plus fort que moi. Ses doigts continuent de serrer ma gorge. Je sens mon souffle me quitter.

Il est en train de me tuer. C’était donc ça, son fantasme?

En quelque part, je m’en fous de mourir. Je ne vivais plus véritablement depuis longtemps. Mon âme était morte et mon client, lui, est juste en train de finir le travail.

Malgré tout, je ne suis pas si inoffensive que ça. Même s’il me tue cette nuit, je l’aurai quand même tué moi aussi. Mais d’une mort beaucoup plus horrible, lente et pernicieuse : le sida.

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