lundi 12 février 2007

La gourmandise - Les 7 péchés capitaux

J’ai faim. Toujours faim. Toujours plus faim. J’ai FAIM!

Mais il ne faut pas manger. Jamais. Soyons parfaite, mes belles, la peau blanches, les dents blanches, les cheveux soyeux, les os saillants.

Sur le podium, mes talons claquent. J’arrive au bout de l’estrade, un petit tour sur moi-même, une ombre de sourire sur les lèvres. J’ai faim.

Je reviens, je me change. Autour de moi, les plus belles femmes de la planète.

Mais aucune d’elles ne sourient. Elles pensent toutes à leur estomac.

Je ne peux pas manger ce morceau de pain. Mais j’ai faim. Et ce petit canapé au thon… Dieu que j’ai faim.

Chaque jour, je me pèse. Chaque jour, l’angoisse. Une livre de trop, un tour de taille trop grand et je suis foutue. J’ai voulu la célébrité! Mais j’ai faim.

Parfois, je me réveille, et je voudrais être ailleurs. Pas à Milan, Paris, Tokyo. Pas à Londres. Non. Je voudrais être à Plessville, mon patelin. Des fois, la nuit, je rêve au Connecticut. Le Connecticut m’appelle. Il me dit : viens, viens! J’ai de bons gâteaux, des pâtés en croûtes, des muffins aux carottes. Et le matin, je me lève, tremblante, en sueur. Fini le Connecticut.

Hier soir, j’ai eu une rechute. Je m’étais pourtant dit que je n’en reprendrais plus.

Les designers ne veulent pas d’une toxico comme mannequin.

Heureusement, il n’y avait que Nathalia. Elle ne le dira à personne, elle était aussi gelée que moi. Même plus. Quand je suis partie, elle n’était toujours pas réveillée. Je lui parlerai ce soir, pour savoir si elle se souvient de quelque chose.

Nathalia n’était pas là, je ne comprends pas. Elle ne sait pas qu’elle peut mettre sa carrière à l’eau, si elle a ce genre de comportement? C’est une petite de quatorze ans qui l’a remplacée au pied levé. Elle n’a pas la démarche de Nathalia. Elle, elle sait s’y faire : un port altier, une démarche de panthère, un sourire de pétasse. Une vrai pro.

Aujourd’hui, ça été difficile pour moi. Déjà que sans Nath, c’est dur, mais en plus mon agent est venu. Il n’est pas content. J’ai l’air grosse sur les photos d’Oscar de la Renta. Il n’est pas content, Oscar non plus, les photographes encore moins. Il y aura beaucoup de retouches à faire sur les photos. Mon tiramisus m’a trahie. Mais j’ai tellement faim.

Faut que je perde du poids, que j’arrête de manger. Même si j’ai autant faim. Il faut que je sois parfaite. La parfaite fille, la parfaite mannequin, la parfaite beauté américaine.

Ce soir, aux nouvelles, j’ai appris la mort de Nathalia. Overdose de coke. On l’a retrouvée morte, dans son appart. Deux jours qu’elle y était. Morte le soir de ma rechute. Et le lendemain, je suis partie, sans même me rendre compte que Nathalia, ma Nathalia, ma si parfaite, adorable, sexy Nathalia ne vivait même plus.

J’ai mangé. Mangé, mangé, mangé. Tout ce qui me tombait sous la main. J’ai appelé le room service et j’ai commandé. Le gars n’en revenait pas, moi qui ne commande d’habitude que de l’eau Perrier et du melon d’eau. J’ai appelé un gars que je connais, un dealer safe, et j’ai commandé aussi. Il m’apporte toujours du bon stock. J’ai mangé et j’ai sniffé.

Le lendemain, dans le journal, il était titré: Il pleut des mannequins sur New-York. Un deuxième mannequin international a été retrouvé morte mardi matin par son agent. Selon le coroner, la mort des deux mannequins est similaire : overdose de coke et juste avant, orgie de nourriture. On songe à un tueur en série répondant au nom de Boulimie et de Toxicomanie. Maman de ce pays, attention à vos filles!

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